LA VALLÉE CACHÉE

 

Le lendemain matin, Saphira décolla en emportant Arya et Eragon. Le garçon avait besoin de prendre un peu ses distances avec Murtagh. Dans les hauteurs, il frissonna et serra ses vêtements contre lui. On aurait dit qu’il allait neiger. Saphira se laissa porter sans effort par un courant ascendant, et elle demanda : « À quoi tu penses ? »

Le Dragonnier contemplait les montagnes qui les surplombaient toujours, si haut que volât Saphira. « C’était un meurtre, hier. Je n’ai pas d’autre mot pour ça. »

La dragonne vira sur la gauche. « C’était un acte hâtif et irréfléchi, mais Murtagh a voulu bien faire. Les hommes qui capturent des êtres humains pour les revendre méritent châtiment. Si nous n’avions pas pour mission première de sauver Arya, j’aurais moi-même traqué ces chiens, et je les aurais réduits en pièces ! »

« Oui, répondit Eragon, mal à l’aise. Mais Torkenbrand était sans défense. Il ne pouvait ni se protéger, ni s’enfuir. Un instant de plus, et il se serait probablement rendu. Murtagh ne lui a pas offert cette chance. Si au moins Torkenbrand avait pu se battre, ça n’aurait pas été aussi moche. »

« Eragon, même si Torkenbrand s’était battu, le résultat aurait été le même. Tu sais parfaitement que, l’épée à la main, Murtagh et toi n’avez presque pas d’égal. Torkenbrand aurait péri de toute façon, même si tu sembles croire qu’un duel inégal eût été plus honorable et plus juste ! »

« Je ne sais pas ce qui est juste, admit Eragon, malheureux. Aucune réponse ne me paraît sensée. »

« Parfois, il n’y a pas de réponse, dit Saphira avec douceur. Essaie de tirer les leçons de ce qui est arrivé. Puis pardonne à Murtagh. Et, si tu ne peux pas lui pardonner efforce-toi d’oublier, car, si violent qu’il se soit montré, il ne te voulait pas de mal. Ta tête à toi tient toujours sur tes épaules, n’est-ce pas ? »

Le Dragonnier se renfrogna en s’agitant sur sa selle. Il se secoua, comme un cheval qui cherche à chasser une mouche et observa la progression de Murtagh par-dessus l’encolure de Saphira. Une tache de couleur, en arrière, attira son attention.

Les Urgals campaient près du ruisseau qu’eux-mêmes avaient franchi la veille au soir. Les battements de cœur d’Eragon s’accélérèrent. Comment avaient-ils pu gagner encore du terrain, puisqu’ils étaient à pied ?

La dragonne vit les monstres, rabattit ses ailes et fendit l’air dans un plongeon vertigineux. « Je ne crois pas qu’ils nous aient remarqués », fit-elle.

« J’espère que non…, répondit Eragon, le souffle coupé par la violence de la descente. Leur chef doit les mener à marche forcée ! »

« Qui sait, ils vont peut-être tous mourir d’épuisement ! »

Quand ils atterrirent, Murtagh l’apostropha sèchement :

— Qu’est-ce qu’il y a encore ?

— Les Urgals nous rattrapent.

Eragon désigna la direction du campement ennemi.

— Quelle distance devons-nous encore parcourir ? demanda Murtagh en regardant la position du soleil pour évaluer le temps qu’il leur restait avant la tombée du soir.

— Normalement ? On en a encore pour cinq jours de voyage. À la vitesse à laquelle nous avançons, peut-être trois. Mais, à moins d’arriver demain, les Urgals vont sans doute nous capturer, et Arya mourra certainement.

— Elle tiendra bien un jour de plus !

— On ne peut pas compter là-dessus. Le seul moyen de parvenir chez les Vardens à temps, c’est de ne jamais nous arrêter, pas même pour dormir. C’est notre unique chance.

Murtagh eut un rire amer :

— Comment espères-tu y réussir ? Cela fait des jours que nous ne dormons pas suffisamment. À moins que les Dragonniers ne soient faits d’un autre bois que nous, simples mortels, tu dois être aussi fatigué que je le suis. Nous avons parcouru une distance stupéfiante ; et au cas où tu ne l’aurais pas remarqué, les chevaux aussi sont sur le point de s’écrouler. Un jour de plus à ce rythme nous tuerait tous.

Eragon haussa les épaules :

— On verra bien. On n’a pas le choix.

Murtagh leva les yeux vers les sommets.

— Je pourrais vous quitter et vous laisser avancer avec Saphira. Cela obligerait les Urgals à diviser leurs forces en deux, et vous auriez deux fois plus de chances de rejoindre les Vardens.

Eragon croisa les bras :

— Ce serait du suicide ! Pour une raison qui m’échappe, ces Urgals sont plus rapides que nous, qui sommes à cheval. Ils te traqueraient comme un cerf. La seule façon de leur échapper, c’est encore de se réfugier auprès des Vardens.

Malgré ses paroles, il n’était plus si sûr de désirer encore la compagnie de Murtagh. Il l’aimait bien, mais il doutait à présent que celle-ci fût une bonne chose.

— Je m’en irai plus tard, déclara brièvement le jeune homme. Quand nous serons près des Vardens, je m’éclipserai par le fond d’une vallée et me rendrai au Surda. Je saurai m’y cacher sans attirer l’attention.

— Donc tu restes ?

— Qu’on dorme ou pas, je te mènerai aux Vardens, promit Murtagh.

 

Avec une détermination renouvelée, ils tentèrent de distancer les Urgals ; leurs poursuivants continuaient cependant de se rapprocher. À la tombée de la nuit, les Urgals étaient trois fois plus près d’eux que le matin. La fatigue sapait les forces des jeunes gens. Ils somnolaient à tour de rôle sur leur selle, celui qui restait éveillé guidant les montures.

Eragon se fondait uniquement sur les indications d’Arya pour s’orienter ; mais à cause de l’étrange forme d’esprit de l’elfe, il se trompait parfois de route et perdait un temps précieux. Ils bifurquaient peu à peu vers les contreforts du bras est des montagnes, cherchant la vallée qui les conduirait chez les Vardens. Une nuit s’écoula encore sans qu’elle leur apparût.

 

Quand le soleil revint, ils se réjouirent de constater que les Urgals étaient loin derrière.

— Plus qu’un jour ! s’exclama Eragon en bâillant bruyamment. Si les Vardens ne sont pas en vue vers la mi-journée, Saphira m’emmènera avec Arya. Tu seras libre d’aller où bon te semblera, mais tu devras prendre Feu-de-Neige avec toi. Je ne pourrai pas venir le récupérer.

— Ce ne sera peut-être pas la peine, rétorqua Murtagh en caressant le pommeau de son épée, nous arriverons peut-être à temps.

Eragon haussa les épaules :

— Peut-être.

Il alla vers Arya et posa une main sur son front. Il était trempé et brûlant. Ses yeux s’agitaient sous ses paupières closes, comme si elle faisait un cauchemar. Eragon lui passa un linge mouillé sur le visage, désolé de ne pouvoir faire mieux.

 

Plus tard dans la matinée, ils finissaient de contourner une montagne particulièrement large, lorsque Eragon vit au loin une vallée qui s’ouvrait dans son flanc. Elle était si étroite qu’on pouvait aisément la manquer. Le fleuve de la Dent-d’Ours dont avait parlé Arya en débouchait, sinuant tranquillement. Il sourit, soulagé. C’était là qu’ils se rendaient.

Eragon jeta un regard en arrière et constata avec effroi que la distance qui les séparait des Urgals s’était réduite à un peu moins d’une lieue. Il désigna la vallée à Murtagh :

— Si nous arrivons à nous glisser là-dedans sans être vus, on a une chance de leur échapper.

Son compagnon eut l’air sceptique :

— Ça vaut le coup d’essayer, mais ils nous ont toujours suivis avec une telle facilité…

En s’approchant, ils passèrent sous les arbres enchevêtrés de la forêt. C’étaient de hauts pins aux écorces crevassées, aux aiguilles presque noires, dont les racines tordues pointaient hors de terre comme des genoux décharnés. Des pommes de pin jonchaient le sol, aussi grosses que des têtes de chevaux. Des écureuils au pelage de jais chicotaient dans les ramures, des yeux brillaient dans les trous de l’écorce. Des touffes d’aconit[8] entremêlées pendaient des branches noueuses.

Eragon sentit ses cheveux se hérisser sur sa nuque : cette forêt le mettait mai à l’aise. Quelque chose d’hostile flottait, dans l’air, comme si les arbres leur reprochaient cette intrusion. « Ils sont très anciens… » dit Saphira en effleurant un tronc de son museau.

« Oui, dit Eragon, mais pas très accueillants. »

Au fur et à mesure qu’ils avançaient, la forêt devenait plus dense. Le manque d’espace obligea Saphira à décoller avec Arya. Des broussailles épaisses ralentissaient leur marche. La Dent-d’Ours qui coulait, toute proche, remplissait l’air de ses gargouillements. Un sommet leur cachait le soleil, les plongeant dans un crépuscule prématuré.

En pénétrant dans la bouche de la vallée, le Dragonnier se rendit compte que, bien qu’elle parût n’être qu’un corridor encaissé entre les pics, elle était aussi large que bien des vallées de la Crête. Seule l’énormité des montagnes, avec ses arêtes et ses ombres, lui donnait cet aspect confiné. Des torrents cascadaient le long de ses flancs abrupts.

Le ciel était réduit à une fine bande venteuse, masquée en grande partie par des nuages gris. Du sol froid et humide montait un brouillard collant qui glaçait l’air, au point que le souffle des voyageurs se changeait en buée. Des framboisiers sauvages émergeaient d’un tapis de mousses et de fougères, à la recherche de la maigre lumière. Des champignons vénéneux aux teintes rouges et jaunes poussaient sur les morceaux de bois tombés qui pourrissaient.

Tout était oppressant, silencieux. L’air lourd étouffait les bruits.

Saphira atterrit dans une clairière avec un battement d’ailes étrangement feutré. Elle examina l’endroit d’un balancement de tête. « Je viens de voir passer un vol d’oiseaux noir et vert, avec des marques rouges sur les ailes. Je n’avais encore jamais vu d’oiseaux comme ça. »

« Dans ces montagnes, rien n’est comme ailleurs, répondit Eragon. Tu veux bien que je te monte un moment ? J’aimerais voir ce que fabriquent les Urgals. »

« D’accord ! »

Le Dragonnier se tourna vers Murtagh :

— Les Vardens sont cachés au fond de cette vallée. Si nous nous dépêchons, nous l’atteindrons avant la tombée de la nuit.

Le jeune homme grommela, les mains sur les hanches :

— Et moi ? Comment je sors de là ? Je ne vois pas de vallée transversale et les Urgals seront bientôt sur nous. Par où vais-je m’échapper ?

— Ne t’inquiète pas pour ça ! s’impatienta Eragon. La vallée est longue. Il y a sûrement une issue au bout.

Il détacha Arya et l’installa sur Feu-de-Neige :

— Veille sur l’elfe. Je vais monter Saphira. On se retrouve plus loin.

Il grimpa sur la dragonne et s’attacha à la selle.

— Sois prudent ! lança Murtagh, les sourcils froncés.

Puis il entraîna les chevaux et reprit sa course dans la forêt.

Tandis que Saphira s’élevait dans le ciel, Eragon lui demanda :

« Pourrais-tu voler jusqu’au sommet d’un de ces pics ? Nous pourrions ainsi localiser notre destination et repérer un passage pour Murtagh. Je n’ai pas envie de l’entendre ronchonner pendant toute la traversée. »

« Essayons, acquiesça Saphira, mais là-haut, il va faire beaucoup plus froid ! »

« Je suis habillé chaudement. »

« Alors, tiens-toi bien ! »

La dragonne gagna soudain de l’altitude. Son passager fut écrasé sur sa selle.

Les ailes de Saphira battaient avec force, les portant toujours plus haut. Bientôt, la vallée ne fut plus qu’une mince ligne verte, où la Dent-d’Ours étincelait comme un fil d’argent accrochant la lumière.

Ils s’élevèrent jusqu’à toucher les nuages. L’air était saturé de givre. Un linceul grisâtre les engloutit. Ils n’y voyaient plus qu’à une longueur de bras. Eragon espéra qu’aucun obstacle ne se dissimulait dans cette opacité. Il tendit une main et l’agita ; de la condensation trempa aussitôt sa manche.

Une vague forme grise lui frôla la tête. C’était une colombe qui battait frénétiquement des ailes. Elle portait une bague blanche à une patte. Saphira se jeta sur elle, la langue sortie. L’oiseau piailla lorsque des crocs acérés happèrent les plumes de sa queue. Il se jeta de côté et disparut dans le brouillard ; le froufroutement de ses ailes décrut, puis s’éteignit.

Quand ils émergèrent des nuages, Saphira était couverte de milliers de gouttelettes qui brillaient sur le bleu de ses écailles et reflétaient de minuscules arcs-en-ciel. Eragon s’ébroua pour ôter l’eau qui perlait sur ses vêtements. Il voyait plus le sol, rien que des îlots de nuages qui serpentaient entre les sommets.

Sur les hauteurs, les arbres cédaient la place à des glaciers imposants, qui prenaient des teintes bleues et blanches sous le soleil. La réverbération était telle qu’Eragon dut fermer les yeux. Il essaya de les rouvrir, mais la luminosité l’aveuglait tant qu’il leva le bras en visière pour se protéger. « Comment peux-tu supporter ça ? » demanda-t-il à Saphira.

« Mes yeux sont moins fragiles que les tiens », répondit-elle.

L’air était glacial. L’eau gela dans les cheveux du garçon, le coiffant d’un casque brillant. Sa chemise et son pantalon emprisonnèrent ses membres dans une coquille solide. Les écailles de Saphira devinrent glissantes ; des dentelles de givre se formaient sous ses ailes. Jamais elle n’avait volé aussi haut ; pourtant, le sommet des montagnes les dominait encore.

Peu à peu, ses battements d’ailes ralentirent. Sa respiration devint laborieuse. Eragon haleta. L’air se raréfiait. Luttant contre la panique, il se cramponna aux piquants qui hérissaient l’encolure de Saphira : « Il faut qu’on sorte de 1à… » Des points rouges dansaient devant ses yeux. « Je… n’arrive plus… à respirer… »

La dragonne ne semblait pas avoir saisi le message. Alors il le répéta plus fort. Il n’y eut pas de réponse. « Elle ne peut pas m’entendre ! » comprit-il. Il vacilla. Ses pensées s’embrouillaient. Il cogna de son poing le flanc de Saphira et hurla :

— Redescends !

Cet effort le laissa étourdi. Un voile obscur passa devant ses yeux, et il ne vit plus rien.

Eragon reprit conscience lorsqu’ils débouchèrent sous le ventre des nuages. Il avait mal à la tête. « Qu’est-il arrivé ? » demanda-t-il en se redressant sur sa selle et en regardant autour de lui, hagard.

« Tu t’es évanoui », répondit Saphira.

Il se recoiffa avec les doigts, et sentit des glaçons dans ses cheveux. « Oui, je sais. Mais pourquoi n’as-tu pas répondu ? » « Mon cerveau ne fonctionnait plus. Tes mots n’avaient aucun sens. Quand tu as perdu connaissance, j’ai senti que quelque chose n’allait pas, et je suis redescendue. Je n’ai pas eu à plonger longtemps pour comprendre ce qui s’était passé. »

Eragon eut un rire nerveux. « Une chance que tu ne te sois pas évanouie, toi aussi ! » Saphira se contenta d’agiter la queue.

Le Dragonnier leva un regard nostalgique vers les pics inaccessibles, que les nuages masquaient à présent. « Dommage que nous n’ayons pas pu nous poser sur l’un de ces sommets. Au moins, nous savons maintenant que, pour repartir de la vallée, nous devrons emprunter le chemin que nous avons pris à l’aller. Mais pourquoi avons-nous manqué d’air ? Pourquoi, s’il y en a en bas, n’y en a-t-il plus en haut ? »

« Je ne sais pas. Mais je n’oserai plus voler aussi près du soleil. Nous retiendrons la leçon. Ce savoir nous sera utile si nous devons combattre un autre Dragonnier. »

« J’espère que cela n’arrivera jamais ! dit Eragon. Volons plus bas, à présent. J’ai eu ma dose d’émotions pour la journée. »

Ils dérivèrent doucement sur les courants, se laissant porter d’une montagne à l’autre, jusqu’à ce que le garçon aperçut la colonne d’Urgals. Elle avait atteint l’entrée de la vallée. « Qu’est-ce qui les fait avancer à cette vitesse ? Comment réussissent-ils à soutenir un tel rythme ? »

« Maintenant qu’ils sont plus proches, je peux voir qu’ils sont plus grands que tous ceux que nous avons croisés auparavant, estima Saphira. Ils dépasseraient des épaules un humain de haute taille. J’ignore d’où ils viennent, mais ce doit être une terre bien sauvage pour générer de telles brutes ! »

Eragon regarda en bas. Sa vision n’était pas aussi nette que celle de Saphira : « S’ils continuent à cette allure, ils vont rattraper Murtagh avant que nous n’ayons trouvé les Vardens. » « Ne perds pas espoir ! La forêt ralentira peut-être leur progression. Est-il possible de les arrêter grâce à la magie ? »

« Les arrêter… non. Ils sont trop nombreux. » Le garçon se souvint alors de la couche de brume qui montait du sol, et il sourit : « Mais je dois être capable de les retarder un peu. »

Il ferma les yeux, choisit les mots justes, fixa la brume et commanda :

— Gath un reisa du rakr !

En bas, il y eut une sorte de remous. Vu du ciel, on aurait dit que le sol s’était mis à couler comme une grande rivière paresseuse. Une épaisse bande de brouillard s’accumula devant les Urgals, se durcit, s’éleva en un mur impressionnant, noir comme un ciel d’orage. Les Urgals hésitèrent : puis reprirent leur progression avec la puissance d’un bélier. La barrière de brume les enveloppa, dissimulant leur avant-garde.

Cet exercice épuisa Eragon d’un coup. Son cœur se mit à palpiter comme celui d’un oiseau qui meurt. Il haleta, les yeux révulsés, lutta pour se libérer de l’emprise du sortilège qui pompait son énergie. Des filaments de magie claquèrent dans son esprit comme des serpents décapités, se rétractèrent, quittant sa conscience comme à regret, en s’agrippant à ses forces vitales. Le mur de brume se dissipa et fondit lentement, telle une tour de boue s’effondrant sur le sol. Les Urgals n’avaient même pas été retardés.

Eragon s’affala sur Saphira, pantelant. Alors seulement il se souvint des paroles de Brom : « La magie est affectée par la distance, comme une lance ou une flèche. Plus la cible est loin, plus il faut d’énergie pour l’atteindre. » « Je ne l’oublierai plus », songea-t-il avec amertume.

« Tu n’aurais pas dû l’oublier du tout, le nargua Saphira. N’as-tu pas écouté les enseignements de ton maître ? Tu finiras par te tuer si tu continues comme ça ! »

« Je les ai écoutés. Mais je n’ai pas eu l’occasion d’y repenser depuis. Je n’ai jamais utilisé la magie à distance. Comment aurais-je pu savoir que ce serait si difficile ? »

« À la prochaine occasion, je le sais, tu essayeras de ressusciter les morts, grogna la dragonne. Rappelle-toi ce que Brom t’a dit à ce sujet. »

« Je m’en souviendrai », répondit Eragon, agacé.

Saphira plongea vers le défilé, à la recherche de Murtagh et des chevaux. Eragon l’aurait volontiers aidée, mais il avait tout juste la force de se maintenir en selle.

La dragonne atterrit brutalement dans une petite clairière. Eragon fut étonné de voir les chevaux arrêtés et Murtagh, à genoux, en train d’examiner le sol. Comme le Dragonnier ne bougeait pas, Murtagh courut vers lui :

— Qu’est-ce qui ne va pas ? s’enquit-il d’une voix où perçaient la tension et la fatigue.

— J’ai commis une erreur, avoua Eragon. Les Urgals sont entrés dans la vallée. J’ai essayé de les désorienter, mais j’ai oublié une règle de la magie, et je l’ai payé cher.

Murtagh fronça les sourcils et pointa un doigt derrière lui :

— J’ai repéré des empreintes de loup. Sauf que ces empreintes-là sont larges comme deux fois ma main et de la profondeur d’un pouce. Il y a par ici des bêtes dangereuses – même pour toi, Saphira.

Il se tourna vers elle :

— Je sais que tu ne peux pas nous suivre dans la forêt ; mais j’aimerais que tu voles en cercle au-dessus de nous et des chevaux. Cela tiendrait ces fauves à distance. Sinon, il restera de moi à peine de quoi remplir un dé à coudre.

— C’est de l’humour, Murtagh ? demanda Eragon en souriant brièvement. Ses muscles tremblaient, il lui était difficile de se concentrer.

— Oui, de l’humour noir, fit-il en se frottant les yeux. Je n’arrive pas à croire que les mêmes Urgals nous suivent depuis tout ce temps. Ce ne sont pas des oiseaux !

— Saphira dit qu’ils sont beaucoup plus grands que ceux que nous connaissons, lui apprit le Dragonnier.

Murtagh jura en serrant le pommeau de son épée :

— Ça explique tout ! Saphira, si tu as raison, ceux-là sont des Kulls, l’élite des Urgals. J’aurais dû deviner que le chef de clan serait à leur tête. Ils ne montent pas à cheval car aucune monture ne pourrait supporter leur poids et leur immense carcasse. Ils peuvent courir des jours sans dormir ; et rester frais et dispos pour combattre. Il faut bien cinq hommes pour tuer un Kull. Ils ne quittent leurs grottes que pour guerroyer ; et s’ils sont sortis en force, c’est qu’ils préparent un massacre.

— A-t-on une chance de les distancer ?

— Comment savoir ? Ils sont forts, déterminés et nombreux. Si jamais nous devons les affronter, j’espère que les Vardens ont des hommes postés dans les environs, qui nous viendront en aide. En dépit de nos talents et de la présence de Saphira, nous ne tiendrons pas devant des Kulls.

Eragon vacilla sur sa selle :

— Peux-tu me donner un morceau de pain ? Il faut que je mange.

Murtagh s’empressa de lui apporter un quignon. Il était sec et rassis, mais le Dragonnier le dévora avec reconnaissance. Son compagnon scrutait les parois de la vallée, le regard inquiet. Eragon comprit ce qu’il cherchait.

— Il y aura sûrement une sortie plus loin, affirma-t-il.

— Bien sûr ! approuva Murtagh avec un optimisme forcé. Allez, on repart !

— Comment va Arya ?

Le jeune homme haussa les épaules :

— La fièvre a empiré. Elle s’agite. Qu’est-ce que tu espères ? Ses forces s’épuisent. Tu devrais l’emmener chez les Vardens sur le dos de Saphira avant que le poison n’ait fait plus de ravages.

— Je ne t’abandonnerai pas, rétorqua Eragon, que chaque bouchée de pain semblait revigorer. Pas avec les Urgals sur nos talons.

— Comme tu voudras. Mais, je te préviens, elle ne survivra pas si tu restes avec moi.

— Ne dis pas ça ! protesta le garçon en se dressant sur sa selle. Aide-moi à la sauver : on peut encore y arriver ! Disons : une vie pour une vie, en expiation pour la mort de Torkenbrand…

Le visage de Murtagh s’assombrit instantanément :

— Je n’ai rien à expier ! Tu…

Une corne de chasse sonna dans les profondeurs de forêt.

— Je t’en dirai plus tout à l’heure, fit-il en courant vers les chevaux.

Il sauta en selle, saisit les rênes des bêtes et s’éloigna au trot, lançant à Eragon un regard furieux.

 

Le Dragonnier ferma les yeux lorsque Saphira s’envola. Il aurait tant aimé s’allonger sur un bon lit et oublier tous ses soucis…

« Saphira, finit-il par dire, les mains sur ses oreilles pour les réchauffer, et si on emmenait Arya chez les Vardens, tout compte fait ? Dès qu’elle serait en sécurité, nous reviendrions vers Murtagh pour l’aider à sortir de là ! »

« Les Vardens ne te laisseraient pas repartir, répondit la dragonne. Ils te suspecteraient de vouloir révéler leur cachette aux Urgals. Nous n’arrivons pas dans les meilleures conditions pour leur inspirer confiance ! Ils voudront savoir pourquoi tu as amené une compagnie entière de Kulls à leur porte. »

« Nous n’aurons qu’à leur dire la vérité, et espérer qu’ils nous croient… »

« Et que ferons-nous si les Kulls attaquent Murtagh ? »

« Nous les combattrons, évidemment ! Je ne laisserai ni lui ni Arya être capturés ou tués ! » s’écria Eragon, indigné.

« C’est très noble de ta part ! approuva Saphira avec un brin de sarcasme. Oh, nous ferions tomber beaucoup d’Urgals – toi, avec ta magie et ton épée, tandis que je me servirais de mes propres armes, mes crocs et mes serres… mais, au bout du compte, tout cela ne servirait à rien. Ils sont trop nombreux, Nous ne pouvons pas les vaincre ; nous ne pouvons qu’être vaincus. »

« Quoi, alors ? Je n’abandonnerai ni Arya ni Murtagh entre leurs pattes… »

La dragonne fouetta bruyamment Pair de sa queue :

« Ce n’est pas ce que je te demande. Toutefois, si nous attaquons en premier, nous bénéficierons peut-être d’un avantage. »

« Tu es folle ? Ils nous… »

Eragon s’interrompit, envisageant cette perspective. « Ils ne pourront rien faire ! » conclut-il, étonné.

« Exactement ! dit Saphira. Nous pouvons leur infliger de lourdes pertes en restant en sécurité à bonne hauteur… »

« Bombardons-les de pierres ! suggéra Eragon. Cela les éparpillera ! »

« Sauf si leur crâne n’est pas assez solide pour les protéger… »

Elle vira sur la droite et se posa sur les berges de la Dent-d’Ours. Elle attrapa un rocher dans ses serres puissantes pendant qu’Eragon ramassait des pierres grosses comme le poing. Chargée de ces munitions, Saphira reprit de l’altitude et plana silencieusement au-dessus de la troupe d’Urgals. « Maintenant ! » s’écria-t-elle en lâchant son rocher. Il y eut des craquements assourdis lorsque les projectiles dégringolèrent à travers les arbres, en faisant éclater les branches. L’instant d’après, l’écho de hurlements résonna dans la vallée.

Eragon esquissa un sourire en entendant les Urgals se bousculer pour se mettre à l’abri. « On recommence ! » proposa-t-il. Saphira acquiesça d’un grognement et redescendît près du fleuve.

C’était une rude tâche, mais cela ralentissait la progression des Urgals, même s’il leur était impossible de les arrêter complètement : dès que Saphira retournait faire provision de pierres, les Kulls regagnaient du terrain. Ce stratagème permit toutefois à Murtagh de conserver son avance.

La vallée s’obscurcissait au fur et à mesure que le temps passait. Le soleil disparut et la morsure de l’air glacé devins plus âpre. Le brouillard givrant drapa les arbres d’un manteau blanc. Les animaux nocturnes commencèrent à quitter leurs tanières pour guetter, tapis dans la pénombre, les intrus qui foulaient leur territoire.

Eragon continuait d’inspecter le paysage, cherchant chute d’eau qui marquerait la fin de leur périple. Chaque instant qui passait rapprochait Arya de la mort, il en avait douloureusement conscience. « Plus vite, plus vite ! » marmonnait-il intérieurement, en surveillant Murtagh tout en bas. Avant que Saphira ne retournât se réapprovisionner en rochers, il lui dit : « Faisons une pause. Le jour touche à sa fin ; la vie d’Arya aussi, j’en ai peur. J’aimerais voir comment elle va… »

« La vie d’Arya est entre les mains du destin. Tu as choisi de rester avec Murtagh. Il est trop tard pour revenir sur ta décision. Alors, arrête de te torturer. Tu me hérisses les écailles ! Le mieux que nous ayons à faire, c’est de continuer à bombarder les Kulls. »

Eragon savait qu’elle avait raison, même si ses mots n’atténuaient pas son anxiété. Il se mit de nouveau en quête de la chute d’eau, mais un pan de la montagne lui barrait la vue.

L’obscurité emplit la vallée, coulant comme de l’encre sur les arbres et sur les montagnes. Malgré la finesse de son flair et de son ouïe, Saphira ne parvenait plus à localiser les Urgals dans la forêt trop dense. La lune ne s’était pas encore levée, ce qui n’aidait pas les fugitifs à s’orienter.

La dragonne exécuta un long vol plané en virant sur sa gauche. Elle longea le flanc de la montagne. Eragon en devina la paroi toute proche ; puis il plissa les yeux : cette ligne blanche, au loin, ne seraient-ce pas les chutes ?

Il regarda le ciel, où traînaient les dernières lueurs du soleil couchant. Les silhouettes sombres des montagnes semblaient se refermer en boucle. « Le bout de la vallée n’est plus très loin ! cria-t-il à Saphira, en désignant les sommets qui bloquaient l’horizon. Crois-tu que les Vardens viendront à notre rencontre ? Ils vont peut-être envoyer des hommes pour nous aider ? »

« Je doute qu’ils nous assistent avant de savoir si nous venons en amis ou en ennemis, rétorqua la dragonne qui piqua brutalement vers le sol. Je retourne près de Murtagh. Nous devons rester avec lui, maintenant. Je n’arrive plus à repérer les Kulls ; ils pourraient bien lui tomber dessus par surprise… »

Eragon caressa le fourreau de Zar’roc, se demandant s’il avait recouvré assez d’énergie pour se battre.

La dragonne se posa sur les berges de la Dent-d’Ours et s’accroupit, en attendant. Les chutes grondaient dans le lointain. « Murtagh arrive », dit-elle. Eragon tendit l’oreille et perçut le martèlement des sabots. Le jeune homme sortit de la forêt en courant, poussant les chevaux devant lui. Il les vit tous deux mais ne ralentit pas.

Eragon sauta à terre et trébucha avant de prendre la même allure que Murtagh. Saphira les suivit en longeant la rive afin de ne pas être ralentie par les arbres. Avant que le Dragonnier eût le temps de lui donner les dernières nouvelles, Murtagh lança :

— Je vous ai vus lâcher des pierres. C’était osé ! Les Kulls se sont-ils arrêtés ? Ont-ils rebroussé chemin ?

— Ils sont toujours derrière nous, mais nous arrivons au bout de la vallée. Comment va Arya ?

— Elle n’est pas morte, répondit-il, le souffle court, la voix rauque.

Puis, sur un ton étonnamment calme – celui d’un homme dissimulant une vive émotion, il demanda :

— As-tu vu une vallée, une gorge par où je puisse m’esquiver ?

Embarrassé, Eragon essaya de se souvenir s’il avait aperçu une brèche dans la montagne. Les soucis de Murtagh lui étaient sortis de la tête depuis un moment.

— Il fait nuit, commença-t-il, évasif, en esquivant une branche basse au passage. Quelque chose a pu m’échappa mais… non.

Murtagh jura et s’arrêta net, tirant sur les rênes pour immobiliser les chevaux.

— Es-tu en train de me dire qu’il me faut aller chez les Vardens ?

— Oui, mais cours ! Les Urgals sont derrière nous.

— Non ! rugit Murtagh, un doigt menaçant pointé sur le Dragonnier. Je t’avais prévenu que je n’irais pas chez les Vardens. Tu m’as attiré dans un traquenard ! Je suis pris entre le marteau et l’enclume. C’est à toi que l’elfe a montré le chemin. Pourquoi ne m’as-tu pas dit que c’était un cul-de-sac ?

— Parce que je l’ignorais ! Je savais où aller, rien d’autre. Ne me reproche pas ta décision de m’accompagner.

Murtagh siffla entre ses dents et se détourna avec colère. Tout ce qu’Eragon voyait de lui, c’était son dos immobile et voûté. Lui-même était tendu. Une veine battait dans son cou. Les mains sur les hanches, il sentait son impatience grandir.

« Pourquoi vous êtes-vous arrêtés ! » voulut savoir Saphira, alarmée.

« Ne me dérange pas ! »

— Qu’y a-t-il entre les Vardens et toi ? demanda-t-il à Murtagh. Est-ce donc si terrible que tu doives rester caché, même dans une situation comme celle-ci ? Préfères-tu vraiment affronter les Kulls plutôt que de me le révéler ? Quand donc me jugeras-tu digne de ta confiance ?

Il y eut un long silence.

« Les Urgals ! » le pressa Saphira.

« Je sais, mais nous devons d’abord régler ça. »

« Vite ! Vite ! »

— Murtagh, reprit-il gravement, si nous ne voulons pas mourir, nous devons rallier les Vardens. Et j’ai besoin de savoir comment ils vont réagir en te voyant. Ce sera assez dangereux comme ça, autant éviter les surprises inutiles…

Murtagh fit face au Dragonnier. Il respirait vite et fort, tel un loup acculé par les chasseurs. Après un temps de silence, il dit enfin, d’une voix torturée :

— Tu as le droit de savoir. Je… je suis le fils de Morzan, le premier et le dernier des Parjures.

Eragon
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